Édito | Décembre 2005 – 8 Novembre 2005 : Lettre aux Députés

Monsieur le Député,
Madame la Députée,

En tant que responsable de la Cellule politique d’Alliàge, l’association liégeoise gaye et lesbienne la plus importante de Wallonie, j’ai l’honneur de vous faire parvenir en pièce jointe une brève contribution au débat sur l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe.

Alliàge et ses 230 membres sont en effet très attentifs aux travaux parlementaires sur cette proposition de loi et aux échos dont la presse a rendu compte. Il nous a semblé que certaines dimensions de la question, en particulier la dimension sociale, étaient fort peu présentes. Aussi, plutôt que de reprendre une fois encore les arguments des défenseurs de ce projet, que par ailleurs nous partageons, il nous a paru utile de vous faire part de notre réflexion sur cette dimension, dans l’espoir qu’elle contribuera à compléter votre propre perception des enjeux importants de cette évolution législative pour des milliers de citoyens belges.

Vous remerciant d’avance pour votre attention, nous restons à votre disposition et vous prions de croire, Monsieur le Député, Madame la Députée, à l’assurance de notre parfaite considération.

Pour Alliàge a.s.b.l. Thierry DELAVAL
Responsable de la Cellule politique

Adoption par les couples de même sexe : question éthique ou progrès social ?

Au moment de la reprise des travaux de la Chambre sur le projet de loi ouvrant l’adoption aux couples de même sexe, il est utile de rappeler le contexte global dans lequel ce projet s’inscrit. Davantage qu’une question éthique – peut-on valablement assimiler sous cette appellation fourre-tout des sujets aussi divers que la biotechnologie des cellules souches et l’homoparentalité – il convient d’aborder ce projet sous l’angle du progrès social.

Lorsqu’en janvier 2003 la Belgique a ouvert le mariage aux personnes de même sexe, elle a posé un acte pionnier dans les vastes champs de l’histoire politique de l’émancipation sociale et des libertés individuelles. On sait que pour l’essentiel, le mouvement d’émancipation sociale qui a parcouru le 20ème siècle a visé à corriger la conception restrictive de l’ordre social issue du 19ème siècle, dont les institutions du mariage et de la famille constituent des dimensions centrales. L’émancipation de la femme, l’égalité des droits, le droit du divorce, la dépénalisation de l’avortement, sont autant d’évolutions qui ont permis d’assouplir un modèle trop rigide. Ces avancées légales n’ont pas été reçues unanimement à l’époque de leur instauration. De plus, certaines ont dû être accompagnées ou corrigées, par exemple par l’instauration de la pension alimentaire. Mais aujourd’hui, force est de reconnaître qu’elles étaient de nécessaires adaptations de nos vieux modèles et que, s’il s’en trouvent transformés, cela même les a pérennisés.

Le mariage entre personnes de même genre (expression préférable à celle de la loi, le sexe n’étant qu’une des dimensions du genre – masculin ou féminin), maintenant installé dans notre droit civil, s’inscrit dans ces évolutions nécessaires. On peut aujourd’hui faire le constat qu’il n’a pas ébranlé l’ordre social. Au contraire, il a permis l’intégration d’un plus grand nombre d’individus dans la société belge, remarquablement ouverte au progrès social, à la défense des libertés individuelles et à la multiculturalité.

Si celui-ci n’a pas fait vaciller l’institution du mariage, il est tout aussi irrationnel de craindre que l’homoparentalité puisse ébranler l’institution familiale. De la même façon, elle va au contraire l’enrichir, signe d’une société belge remarquablement plurielle et combien vivante. N’est-il pas déjà perceptible sur la scène internationale que la Belgique s’est hissée parmi les pays les plus novateurs en matière de modèle de société et n’a plus guère à envier la réputation des Pays-Bas ou des pays scandinaves ?

Plusieurs évènements récents ont montré que la société belge est prête à cette nouvelle évolution au cœur de nos libertés fondamentales. On se rappellera les conclusions favorables en la matière des États généraux des Familles organisés de novembre 2003 à avril 2004 par l’ancienne Secrétaire d’État à la Famille Isabelle Simonis. La récente prise de position de la Ligue des Familles en faveur de l’homoparentalité est tout aussi remarquable. Mais à ceux qui doutent de la légitimité de cercles qui pourraient leur paraître trop restreints, il convient également de souligner deux appuis de masse.

Le premier est incontestablement la Gay Pride du 7 mai 2005. On oublie parfois que la Gay Pride, organisée chaque année à Bruxelles est d’abord un événement social et politique. Elle est l’initiative conjointe de tout le mouvement associatif gay et lesbien du pays et est avant tout l’occasion d’adresser un message aux responsables politiques et à la société civile. En mai dernier, 25.000 personnes ont ainsi soutenu la revendication centrale de la Gay Pride, qui était précisément l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. C’est dix fois plus que les deux contre-manifestations qui ont eu lieu à Bruxelles les 10 et 17 septembre.

Le second montre un soutien plus large encore. Le sondage paru dans La Libre du 30 juin 2005 sur diverses questions éthiques d’actualité faisait apparaître une grande maturité de l’opinion publique vis-à-vis de ces questions. En particulier concernant « l’adoption par les gays », selon les termes utilisés dans ce journal, le sondage révèle que 46 % des belges interrogés y sont favorables. Ce n’est certes pas une majorité, comme le souligne le commentaire du journaliste, mais on ne peut qu’être frappé par la très haute acceptation de cette proposition dans notre population. Quelles propositions législatives pourraient dans notre pays se prévaloir d’un si bon résultat ?

Thierry DELAVAL
Sociologue,
Membre du Conseil d’Administration de l’association liégeoise gaye et lesbienne ALLIAGE.