Édito | Avril 2014

Au moment d’imprimer l’Alliàgenda, le procès de Raphaël Wargnies n’est pas terminé. Pour rappel, Raphaël Wargnies a été inculpé de l’homicide volontaire avec préméditation et circonstance aggravante d’homophobie de Jacques Kotnik le 25 juillet 2012 dans le parc d’Avroy, à Liège. C’est la première fois que l’article 405quater du code pénal est appliqué à un cas d’homicide homophobe en Belgique. C’est cet article (le 405quater) qui prévoit des peines alourdies lorsque l’auteur est motivé par la haine, l’hostilité ou le mépris à l’égard d’une personne en raison de son orientation sexuelle (ou de son handicap, ou de sa prétendue race, etc.).

Au moment d’écrire ces lignes, difficile d’imaginer quelle sera l’issue du procès, tant les premières heures de cette cour d’assises historique ont été le théâtre de rebondissements. Le prévenu ne souhaitant pas comparaître, la prise de corps a dû être ordonnée par le président de la cour. Ensuite, Raphaël Wargnies n’a plus souhaité être représenté par ses avocats… qui ont donc été commis d’office. De nombreuses suspensions d’audience ont émaillé ces premières séances.

A trois jours de la fin du procès, on peut se poser plusieurs questions et formuler quelques observations sur le procès lui-même mais également sur les lois anti-discrimination et le 405quater.

S’il est coupable de tous les actes d’accusation, pourquoi Raphaël Wargnies a-t-il décidé d’agresser un homosexuel ?

Que représente l’homosexuel dans la tête d’un agresseur en général ? La question est légitime puisqu’il ne s’agit pas d’attaquer un individu en particulier, mais bien une caractéristique spécifique de la société, quel que soit l’individu qui l’incarne.

L’hypothèse psychologique, voir psychologisante, mobiliserait la figure de l’homosexuel refoulé, en mal avec lui-même, avec ses propres démons et qui ne trouverait d’exutoire que dans la destruction de ces (ses) démons aperçus chez une autre personne. Tuer l’homosexualité qui nous tourmente nous-même. Cette forme, particulièrement violente, d’homophobie intériorisée, ne peut être exclue, mais ne peut suffire comme clef de compréhension.

Une deuxième hypothèse situerait l’agression homophobe dans le champ des violences de genre, dans le champ du déterminisme du masculin et du féminin. Le macho, celui qui n’en est pas, le vrai homme attaquerait le faux homme, la tapette, l’efféminé, le mou. Cette hypothèse charrie avec elle la question du genre des auteurs et des victimes et de la typologie des agressions. Les hommes sont plus souvent les agresseurs que les femmes. Les homosexuels sont plus souvent victimes de coups et blessures et les homosexuelles de viol correctif.

Une troisième hypothèse serait de nature sociologique. Elle poserait la question de la place de l’homosexualité dans la société. Où se situe l’homosexualité dans le champ social ?
Depuis que le législateur a adopté la loi sur le mariage et sur l’adoption, depuis que l’homosexualité est devenue un nouvel instrument droit-de-l’hommiste de l’occident contre le reste du monde, depuis que l’homosexualité a quitté le champ de la subversion dans les discours (mais on sait à quel point l’homosexualité reste subversive dans beaucoup de situations quotidiennes, notamment dans les cours d’école), est-ce qu’attaquer l’homosexualité ne pourrait pas être envisagé comme une attaque contre le système ?

Ces trois hypothèses explicatives ne sont pas avancées pour excuser le geste de Raphaël Wargnies. Ces trois hypothèses témoignent de cette de mise en perspective dont nous manquons, faute d’enquêtes d’opinion, de recherches sur le profil des auteurs d’agression, d’études sur les violences entre hommes et femmes notamment homosexuels et homosexuelles.

Raphaël Wargnies, qui n’a jamais eu de petite amie, est-il un homo refoulé en conflit permanent avec son attirance pour les mecs ? Lorsqu’il a dit qu’il aurait finalement préféré attaquer le jeune qui passait derrière le banc, était-ce parce que ce jeune était plus efféminé que Jacques Kotnik ?
Lorsque Raphaël Wargnies a attaqué le sapin de Noël à Malmédy ou le palais de justice à Verviers ou l’homosexualité de Jacques Kotnik, ne cherchait-il pas à attaquer le système ?

Répondre à ces questions n’excusera pas son geste. La justice doit juger sur les actes et les motivations de l’auteur. Mais chercher à diversifier les points de vue sur les violences homophobes permettrait de mieux appréhender ces phénomènes et d’organiser des politiques publiques cohérentes pour améliorer le vivre ensemble.

En 2013, les Ministres de la Justice et de l’Intérieur, Annemie Turtelboom et Joëlle Milquet, ont fait adopter une loi pour alourdir (encore) les peines de prison dans le champ couvert par le 405quater. Cette loi est un des trop maigres fruits du plan interfédéral contre l’homophobie annoncé à grand renfort de médias par Joëlle Milquet en mai 2013.

Nous votons le 25 mai. Nous allons devoir dire ce que nous voulons.

Vincent Bonhomme