Édito | Avril 2015

Enrichir le modèle

Notre corps est l’objet de contraintes (les vêtements que je peux porter, les personnes que je peux fréquenter, les baisers que je peux donner,…) pourtant la question des libertés est centrale dans le militantisme LGBT. Liberté de tomber amoureux, liberté de fréquenter tel bar, tel restaurant, telle association, liberté de fonder une famille, de venir à la fête du personnel accompagné, de raconter son week-end à ses collègues, liberté de ne pas être masculin ou féminin, liberté d’être masculin ou féminin. Liberté sexuelle.

Poser la problématique en termes de liberté permet de réinvestir le champ de la liberté sexuelle.

C’est une vraie question qui nous concerne tou-te-s et qui doit être abordée avec de plus en plus de précautions tant la morale et ses partisans ont prompts à jeter l’opprobre sur celui ou celle qui ne respecte pas les conventions d’une sexualité normale.

Gayle Rubin, dans son essai d’anthropologie politique du sexe « Surveiller et jouir », synthétise, de façon extrêmement efficace, la hiérarchie entre ce qu’est le bon sexe et le mauvais sexe. L’image qu’elle mobilise est de type pyramidal.

Extraits

Nos sociétés valorisent les actes sexuels selon une hiérarchie de valeurs sexuelles. Le sexe conjugal ou reproductif est à lui seul au sommet de la pyramide. En dessous se massent les couples hétérosexuels monogames non mariés, suivis par la plupart des hétérosexuels. Le sexe solitaire est dans un entre-deux vague et ambigu. L’opprobre jeté par le XIXème siècle sur la masturbation survit encore sous des formes atténuées et modifiées, par exemple l’idée reçue que la masturbation est un substitut inférieur à une relation de couple.

Les relations homosexuelles masculines et féminines durables et stables frisent la respectabilité, mais les gouines qui trainent dans les bars pour draguer et les homosexuels qui vivent dans la promiscuité peinent à s’extraire du groupe situé en bas de la pyramide. Les castes sexuelles les plus honnies à l’heure actuelle sont les transsexuels, les travestis, les fétichistes, les sadomasochistes, les travailleurs du sexe comme les prostituées et les acteurs porno.

Les individus dont le comportement sexuel correspond au sommet de cette hiérarchie sont récompensés par un certificat de bonne santé mentale, la respectabilité, la légalité, la mobilité sociale et physique, le soutien des institutions et des bénéfices d’ordre matériel. A mesure que les comportements ou les intérêts des individus se situent au niveau inférieur de cette échelle, ces derniers sont l’objet d’une présomption de maladie mentale, d’absence de respectabilité, de criminalité, d’une liberté de mouvement physique et sociale restreinte, d’une perte du soutien institutionnel et de sanctions économiques.

On mesure à quel point les outils développés par Gayle Rubin dans son militantisme anthropologique, féministe, lesbien et sadomasochiste nous concernent directement. La question de la liberté s’y inscrit en filigrane. Mais elle pose également de nombreuses autres questions qui renvoient directement aux études sur le genre et la sexualité. Si ces questions vous intéressent, l’ouvrage de Gayle Rubin peut être consulté à la médiathèque de la Maison Arc-en-Ciel de Liège. Comme de nombreux autres.

Vincent Bonhomme