Édito | Avril 2016

Je fais un métier de solitude. Isolé dans un bureau confortable, entouré de bois, de fossiles et de livres, je suis bien loin du monde. Pourtant le monde fait de plus en plus de bruit. Je l’entends battre et rugir à grands coups sourds et lancinants. Il me devient de plus en plus difficile de me concentrer sans être distrait par les cris de ces gens qui souffrent aux portes de l’Europe, par les gémissements de cette femme qui est couchée dans le froid de ma rue ou par l’horreur de la haine qui peut s’abattre sur l’homosexuel. Je suis pétrifié, pétrifié par la honte de ma propre lâcheté face à ce monde qui me révolte. Nous ne sommes pas innocents de l’état du monde* disait Christiane Taubira lors de sa visite à Liège. C’est pour ça que je refuse de rester isolé de peur de me dessécher. C’est pour ça que je me suis engagé dans notre association.

Depuis que les mouvements LGBT existent en Belgique et dans le monde, des gens se sont battus, parfois même au péril de leur vie. Il se sont battus pour conquérir des droits ; ceux-là même qui aujourd’hui nous permettent de nous exprimer librement, de nous marier ou même d’avoir des enfants. Ces gens ont créé les conditions pour que nous puissions dire et décider*. Le combat n’est pas fini, loin s’en faut. Nous avons, en outre, un devoir de veille parce que le péril est grand face à ces forces, politiques ou autres, qui cherchent à grappiller nos droits. Je suis convaincu qu’il ne faut pas livrer nos libertés à ceux qui ne les supportent pas*.

S’il est une chose que mon investissement dans l’associatif m’a apprise c’est que nous ne sommes pas une masse uniforme sans relief. Nous sommes tous différents et c’est là notre richesse. Nous sommes homosexuels, lesbiennes, bisexuels, transexuels, noirs, blancs, grands, petits, gros, maigres, etc. Jamais, on ne pourra nous uniformiser. Jamais, on ne pourra effacer nos différences. Notre combat depuis des décennies est de montrer que nos différences ne nous excluaient pas, qu’il faut distinguer pour mieux relier* !

Je suis conscient depuis toujours que nous sommes tous embarqués dans le même bateau. Que notre avenir ne peut se construire qu’avec et auprès des autres*. Que ce sont nos énergies combinées qui feront avancer les choses. La Maison Arc-en-Ciel de Liège – Alliàge m’offre la possibilité d’agir à mon échelle. J’y suis actif et militant. Je suis militant parce que je suis convaincu qu’il faut se battre. Je suis convaincu que nous pouvons, que nous devons changer les choses. Je suis militant par respect pour ceux qui m’ont précédé dans les associations LGBT. Je suis militant parce que je ne peux supporter la honte de ne rien faire. Je suis militant parce que je refuse de me laisser abattre et parce que je crois qu’un autre monde est possible.

Ce samedi 5 mars, Madame Christiane Taubira, ex-Garde des Sceaux et Ministre de la Justice française est venue déjeuner avec nous à la Maison Arc-en-Ciel de Liège. Cette grande dame de la politique a porté envers et contre tous et jusqu’à sa concrétisation la loi du Mariage pour Tous. Au cours des deux heures qu’elle a passées en notre compagnie, elle a pu aborder de nombreux sujets expliquant ses combats pour un monde plus juste, plus égal et plus libre. Mais au-delà de tous les mots, sa présence est un honneur qu’elle a rendu à nous tous et à notre combat.

Cyrille Prestianni

*Les phrases en italique sont extraites des discours prononcés par C. Taubira lors de sa visite à Liège les 4 et 5 mars derniers.