Trans de vie…
La cravate ne fait pas de toi un homme, la jupe ne fait pas de toi une femme. C’est beau une dame avec une cravate ! Monica Bellucci, par exemple. C’est beau un homme avec une jupe ! Comme Brad Pitt, par exemple ?
Faudrait-il comprendre que la transidentité est binaire ? Notre point de confort doit-il nous être imposé ? Faut-il changer la société et la rendre bienveillante ? Drôle d’approche pour parler de cette journée de la visibilité transgenre, je sais.
Je me nomme Axelle, je suis trans et alors !
Aujourd’hui, je souhaite partager avec vous un moment, qui est basé sur mon vécu et mon apprentissage tout au long de ma tranche de vie.
Born on the 15th of August
Pas simple dans les années 70 de comprendre ce qui se passe dans ma tête. Je me sens comme « un » extraterrestre. Je me sentais bien, là, et pourtant, impossible de trouver une place. J’ai la chance d’avoir un cadre familial stable, avec une maman qui est mannequin professionnelle et un papa maître chocolatier. Je me sens en sécurité à leur côté. Malgré tout, impossible de trouver le courage de poser des questions, des questions qui seraient restées sans réponse ou alors qui m’auraient amenées à la case « mais docteur, que se passe-t-il avec mon fils ? ».
The beginning
Les années 80 sont là, c’est la mode du tailleur strict et du chemisier blanc à la Kim Basinger. Que ça doit être chouette d’être une nana comme Kim. Mais voilà , je ne suis pas Kim, je suis un garçon avec tout le kit qui va avec et, malheureusement, je comprends bien vite que ça va être compliqué… Il sera plus simple de ne pas se poser de question et rentrer dans le moule car, après tout, je suis né.e Mâle et je dois me comporter comme tel. Facile quoi !
Le coté obscur ou… quoi
Les années 90. Les sorties, le boulot dans la moto, les courses de bécanes, les copains et copines, le hockey sur glace, les amoureuses, un grand amour,… La vie me réussit plutôt bien, en fait. Je ne peux cependant pas m’empêcher d’avoir envie de certaines facilités pour sauter dans ma vie de femme. Fétichisme, recherche de ma sexualité,… Je m’évade dans des livres, je lis, je lis, je lis sans cesse et tout me fait aller vers la case psychiatrie ou, au mieux, « pornographie exotique « . Et oui ! Toutes les bonnes raisons d’en parler à tes parents, à ton docteur, à tes ami·es font que tu n’es pas à l’aise et, surtout, seul·e au monde en fait. Je ne peux cependant pas m’empêcher de passer des heures à faire des balades nocturnes et à optimiser mon tuning personnel : le tuning, c’est cool ! Et moi, je veux être full option ! Mais voilà, demain, faut aller bosser et tu ne peux pas réparer des motos en jupe et en talons. Soyons sage et faisons comme si de rien n’était : je suis un CAMÉLÉON !
Pas assez fort·e, je suis !
Le fameux Bug de l’an 2000 fut sans doute le début de mon aventure. Je n’étais encore qu’une « travelotte de placard téméraire au look atypique ». Je construisais mon passing et mon assurance. Je ne m’attarderais pas sur le nombre d’heures d’épilation pour ressembler à quelque chose de correct. Après tout, ma mère aussi passait des heures dans la salle de bain. Et puis, les femmes ont des poils, rassurez- vous ! Je rencontre des gens, des filles de la nuit, je rencontre Luna. Luna est une drag queen professionnelle. Nous devenons ami·es. Je comprends que dans son homosexualité Luna (dit Pablo) aime le spectacle mais ne souhaite pas faire de transition. « Intéressant » , me dis-je. « On peut être légitime, connue et respectée tout en restant un garçon ». Je retiens cette idée. Je retiens surtout que si je dois passer pour une fille, je dois me donner du mal et prendre mon courage à deux mains. Je comprends bien vite que le monde, là, en extérieur, c’est la jungle. Il est violent et, quand tu sors du moule, on te repousse dedans. Finalement, tu en arrives bien vite à te dire que, comme le caméléon, il faut être en top condition pour te fondre dans la masse. Il n’y a pas d’école pour ça, il faut improviser une carapace et son camouflage. Je ne veux pas vivre caché·e ! Pourtant je ne suis pas dans la satisfaction, je me sens divergente. Et un tas de clichés y passent…
Fall down
Tu fais au mieux avec tes deux vies : une vie publique saine, complétée par la naissance de ma fille, et une vie infiltrée, obscure, avec des gens qui ont souvent une double vie, des hommes avides d’expériences exotiques, des rencontres douteuses dans des bars. Je ne comprends pas… J’aime ma vie de nuit, mon existence de femme est décalée de la réalité. Le retour à la réalité n’est que plus douloureux. Ça me fait souffrir. Les motos ne m’intéressent plus trop, j’ai les mains abîmées et je ne veux plus me casser la gueule sur les circuits… « Je veux du parfum et de la douceur, moi ! Je suis un père, un papa ! Tiens-toi droit ! Fais ceci ! Fais cela ! Tu n’es pas une fille, occupe-toi de ton bébé, de ta maison et va bosser, bordel ! ». Case burn-out et psy, médoc et picole… Tu causes avec ton psychiatre, il entend. Mais est-ce qu’il m’écoute vraiment ? Il me prescrit de la Venlafaxine que je consomme avec de l’alcool. C’est sans doute ça qui m’aida à faire mes plus belles sorties et mes plus belles rencontres. J’étais “un peu” désinhibé.e mais, au moins, on me disait “Madame”. Ceci dit, je ne recommande pas la mixture picole / médoc !
Change-moi ma vie
Finalement, tout est dans les points de confort et il ne peut en rester qu’un ! Sauter de ses escarpins à ses grosses bottines pour bosser dans la maison et aller bosser tout court, entre les biberons de mon fils, les garderies et les restants de maquillage de la veille, sous une barbe naissante. Tu te dis là, que tu n’en peux plus, que tu dois faire quelque chose. Je rencontre une jeune femme trans. Nous discutons et elle me dit alors : « Mais Axe, pourquoi ne ferais-tu pas ta transition ? ». Je pense pouvoir dire que ma réponse était toute faite : « Oui ! ». Finalement, ça ne fonctionnait pas… Je m’épuisais à être une personne que je n’étais pas vraiment… Il fallait changer les choses. Ce fut le début de ma transition. Ce fut plutôt simple en fait, même s’il y a toujours un peu de casse et pas mal de blabla dans ton entourage. Il faut garder en tête que tu n’as qu’une vie : c’est la tienne et personne ne fera rien pour te la changer ! Une transition demande de l’énergie et beaucoup de courage. C’est un peu une forme de divorce avec toi-même, en fait.
Une full option ?
Aujourd’hui, je suis moi et certaines choses ne regardent que moi. Les hormones ont fait le boulot, le bonnet B naturel est passé au D artificiel, le laser a mis une célèbre marque de rasoir en faillite : « YES ! ». Mes cheveux deviennent longs et bouclés, il parait même que j’ai un certain charme. Être un peu narcissique ne fait pas de mal lorsqu’on est trans, croyez-moi. Le travail de l’associatif militant trans a fait en sorte que les personnes concernées peuvent avoir le fameux sésame : l’obtention de la carte d’identité en accord avec le genre. C’est plutôt pratique lorsque ça bloque un peu avec certain·es irréductibles Gaulois·es !
Aujourd’hui je respire ou presque.
La vie n’est simple pour personne. Que nous soyons homo, inter, non-binaire, garçon ou fille trans, de couleur, à mobilité réduite, atypique, une licorne, même ! Il ne reste que la façon dont nous avançons , la façon dont nous prenons notre vie en main. Cette jungle que je décris plus haut est toujours la même jungle. Les prédateurs sont toujours là, il y aura toujours des chemins plus compliqués que d’autres, avec de vilaines bestioles qui ne nous aiment pas. Restons uni.e.s. Plus que jamais.
Une amie qui fait de la plongée me disait un jour : « Tu sais Axelle, la beauté de la mer réside dans la variété des espèces ». Alors, comme nous ne pouvons pas tout changer radicalement, je vous propose tout simplement de garder la tête haute car nous sommes des personnes extraordinaires. Et vous verrez, ça fonctionne !
■ Axelle Lamberty
Responsable Genres Pluriels Liège &
ancienne administratrice de la Maison Arc-en-Ciel de Liège