Édito | Avril 2018

J’ai souvent eu l’impression d’arriver après la fête. D’être celui qui, d’un repas long et plantureux, ne savoure que le dessert voire le pousse café. J’ai souvent eu le sentiment, bercé par les histoires de ceux qui avant moi ont connu les années 80 et 90, de ne manger que les restes. Oui, je suis de cette génération « entre deux », de ces jeunes arrivés à l’âge adulte dans les années 2000 et à qui l’on a toujours dit « c’était mieux avant tu sais… ». Je suis de ceux qui ont vu les grands combats sans les mener. Je suis de ceux qui ont vu les bars se fermer. Je suis de ceux qui percevaient, peut-être à tort, que quelque chose était en train de disparaître sans réellement pouvoir mettre le doigt dessus…
C’est un lieu qui m’a permis de comprendre, ou du moins de commencer à comprendre , de quoi il s’agissait. Peu importe ce lieu, peu importe son temps… Ce qu’il m’a appris est intemporel, est immatériel et pourtant si concret. C’était un lieu comme ma génération en a connu peu, trop peu. Un « café du coin » un peu gay, un peu théâtre, un peu resto, mais très humain. C’était un lieu où l’avocat rencontrait la chauffagiste, où la professeure rencontrait l’artiste, où le voyou rencontrait la policière, où la vieille rencontrait le jeune. Pas besoin de rendez-vous, pas besoin de mails, de Doodle, de Facebook ou même de téléphone… Il suffisait d’y aller pour se trouver un ami avec qui parler, polémiquer, rire ou simplement boire un coups. Ça paraît simple, presque évident, et pourtant ces lieux sont devenus rares à l’heure du confort domestique, à l’heure des e-relations, à l’heure du repli sur soi. La fête qui avait commencé dans les années 60. Cette fête qui brisait les classes sociales, cette fête permanente qui faisait se confondre le jour et la nuit, cette fête a laissé la place à un monde du « je travaille demain tu sais », du « j’ai encore 100.000 trucs à faire ». Ces temps où l’on sortait pour se voir sont remplacés par un « like » en forme de pouce et un « envoyer message » sur fond de masque orange.
Ce lieu m’a permis de mettre un mot sur ce que je percevais plus jeune… Ce mot est « convivialité »… Et si ce que nous étions en train de perdre était tout simplement ce naturel plaisir d’être ensemble, de se sentir, de se parler… de se draguer… Oui ce lieu m’a ouvert les yeux et fait réaliser qu’il était capital de réinventer la convivialité, de la (re)placer au centre de nos vies, au point, peut-être, de la cultiver comme un art de vivre… Il s’agit là, à mon avis, d’une des missions de votre Maison. Au travers de nos Tea Dance, de nos balades, de nos conférences, bref de toutes nos activités, c’est bien elle qui est au centre de nos préoccupations. C’est bien de cette convivialité qu’il est question, de ce vivre ensemble, de cet amour irrépressible de la diversité qui est, à mon sens et j’ose l’espérer pour vous aussi, la clef d’un monde où il fera bon vivre.

Cyrille Prestianni