Édito | Mars 2018

Subversion au futur

En cette fin février, votre association préférée était invitée à collaborer au Master de Spécialisation en Études de Genre, à la demande de l’Université de Liège. L’objectif : permettre aux étudiant.e.s de rencontrer des acteurs de terrain, hors du discours académique, pour parler de la réappropriation collective des savoirs. Votre humble serviteur a longuement cogité sur la meilleure manière d’aborder cette thématique et mon choix s’est porté sur ce que je maitrise encore le mieux, le cinéma, et plus particulièrement, le cinéma qui raconte notre histoire LGBT+. La connaissance de nos mouvements, le partage de notre vécu militant est encore trop rare, particulièrement en Europe francophone. Le cinéma est un médium excellent pour amener jeunes (et moins jeunes) à découvrir ce qui nous a amené là où nous en sommes aujourd’hui pour les LGBT+, aussi bien en terme de législation, que de protection ou de visibilité.
Ce fut pour moi l’occasion de plonger en quatre jours dans des fragments de l’histoire occidentale LGBT+. Au programme : Les invisibles, Harvey Milk, 120 battements par minute, Pride et (l’infâme) Stonewall. Un cours intensif de militantisme LGBT+ pour les nul.le.s en quelque sorte ! Une plongée un brin étouffante (à la sortie, j’ai failli virer hétéro tellement il me fallait autre chose), mais surtout exaltante. Qu’ai-je finalement connu moi, du haut de mes 37 ans, de ce militantisme-là ? A 20 ans, je n’étais pas encore out et même à l’époque, le mariage L&G, en Belgique, se jouait déjà davantage sur l’échiquier politique que dans la rue (même si celle-ci fut utile pour ne pas nous laisser oublier).
Petit à petit, l’augmentation de notre visibilité et l’acquisition de nouveaux droits et de protections, a institutionnalisé une partie de nos mouvements. Nous qui combattions une certaine norme, nous avons finalement été intégrés à celle-ci, en faisant malgré tout un peu bouger ses frontières (ce qui n’est pas rien). C’est sans doute une marche normale pour un combat social et nous ne pouvons, moi le premier, vraiment pas regretter ce à quoi les mouvements LGBT+ sont arrivés.
En regardant ces films, je ne pouvais toutefois m’empêcher de me poser la question « Ai-je jamais ressenti ce feu collectif, ce sentiment de mouvement qui serait le poil à gratter de la société ? ». La vérité est que nous sommes toujours, bien entendu, de manière plus policée peut-être, en marche pour obtenir des droits. Le dernier combat sur le changement de genre à l’état-civil vient à peine d’avancer, le don de sang est encore problématique, le soutien apporté aux jeunes LGBT+ est toujours trop faible en Belgique… notre travail continue bien.
Mais j’espère que nous n’avons pas perdu notre caractère plus subversif. Notre position toujours un peu en marge de la norme dictée par la société, nous met à une place en or pour bousculer l’ordre établi, comme peuvent le faire les femmes, les blacks, la classes ouvrière… tou.te.s les dominé.e.s du monde, en somme. Gardons donc bien en veille cette flamme subversive, même très légèrement, car dans l’époque que nous voyons se dérouler actuellement sous nos yeux, c’est peut-être la dernière arme qui nous permettra de résister aux extrémismes de tout bord.

Jean-Pierre Frisée
Coordinateur