Édito | Décembre 2012 – 1er décembre : Journée Mondiale de Lutte contre le Sida

À l’heure où la Ministre de la Santé Publique Laurette Onkelinx, lance un plan global Sida en annonçant notamment la fin des tabous, pour vraiment aider les gens sans les stigmatiser mais en les regardant en face, on peut s’étonner de voir que les gays sont encore et toujours montrés du doigt unilatéralement, portant la responsabilité de la hausse des contaminations.

Cet édito ne veut pas être d’un angélisme béat. Les chiffres de l’Institut scientifique de Santé publique le montrent : en 2011, les dépistages positifs, après une année 2010 ayant connu la plus haute incidence, restent très élevés (1.777 nouveaux cas1). Et malheureusement pour nous, les infections consécutives à un rapport sexuel entre hommes sont aussi en augmentation.

Et oui, on a tous pu constater un relâchement chez les gays depuis plusieurs années. Il suffit de voir les profils sur Internet, de plus en plus nombreux, où le safe sex est « à discuter » ; il suffit de voir à quel point le porno bareback est devenu un véritable argument commercial, certains grands studios devant même s’y mettre pour rester en tête des ventes ; il suffit de voir à quel point le militantisme des gays dans ce domaine, essentiel lors de la première période de l’épidémie (de son début à l’arrivée des trithérapies), s’est petit à petit réduit, par lassitude, par oubli et/ou méconnaissance de cette période et aussi par refus de la stigmatisation social que subissent les séropositifs (et par extension, ceux qui se battent pour eux, qui, dans le regard de Monsieur Tout-le-Monde, doivent forcément l’avoir aussi!).

Il ne s’agit donc pas de nier ces chiffres. Oui, les transmissions consécutives à des rapports entre hommes sont en augmentation et oui, c’est notre affaire à tous. Mais il est important aussi de souligner le manque de précision et de détails de ces chiffres et surtout le danger en termes de prévention et de discrimination de se baser aveuglément sur ceux-ci dans leur état actuel.

Des chiffres incomplets et discutables

Si on se penche sur le rapport de l’ISP pour l’année 2011, on se retrouve face à une septantaine de pages reprenant divers tableaux comparatifs, graphiques et pourcentages sur le sexe des personnes contaminées, sur les modes de transmission (rapports entre homo-/bisexuels, rapports hétérosexuels, injection de drogue, injection de drogue + rapport homo-/bisexuels, hémophilie, transfusion, mère/enfant), sur l’origine des personnes,…

Cela a le mérite d’exister… mais c’est peu et imprécis! Surtout si on compare à ce qui peut se faire à l’étranger. Rien que sur les statistiques des modes de transmission, souvent reprises dans la presse belge pour mettre en avant la hausse des contaminations lors de rapports entre hommes, on oublie souvent de préciser que pour plus d’un quart des patients dépistés, le mode de transmission est inconnu.

Assez surprenant également de voir qu’orientations et pratiques sexuelles (confusion très répandue dans le milieu médical) se mélangent: on parle de rapports homosexuels et bisexuels, alors qu’une personne peut se définir comme homo ou bisexuel, mais un rapport reste un rapport entre hommes, indépendamment de l’orientation sexuelle. Si on peut trouver une certaine utilité (toute relative quand même) à cibler des populations pour faire passer des messages de prévention, il ne faut pas se faire piéger dans cette catégorisation à outrance.

On peut encore trouver dérangeant qu’un rapport public crée une catégorie « Injection de drogue » et une catégorie « Injection de drogue + rapport homo/-bisexuels ». Si ça ne change rien dans les chiffres, c’est quand même un brin stigmatisant, non?

Pour quitter un peu les thématiques de genres, on peut aussi être interloqué que la prostitution ne soit pas évoquée dans le rapport. Les travailleurs(-euses) du sexe ne risquent-ils pas d’être souvent confrontées à cette question?

Si l’entièreté de la politique de prévention doit être basée sur ce rapport, il serait bien que ce grand plan national Sida prévoie une refonte totale des méthodes utilisées pour réaliser celui-ci et revoie les données utiles à récolter pour vraiment faire avancer la situation.

Meilleure connaissance des publics concernés = meilleures stratégies de prévention

Car c’est bien là que le bât blesse. Pour développer DES stratégies de prévention qui parlent aux personnes concernées, il faut savoir à qui on s’adresse. Se limiter à « ce sont des hommes qui couchent avec des hommes », c’est insuffisant et beaucoup trop réducteur.

Qui sont ces hommes qui ont été contaminés par un rapport entre hommes? Des gays, des bisexuels (assumés ou pas), des transgenres peut-être? Et où ont-ils été contaminés? Sur une aire de parking? Avec un type rencontré dans un bar gay? Dans un sex-club? Via une rencontre sur un site internet?

Pour une meilleure prévention, c’est de ces infos que les acteurs de terrain auraient besoin. Un gay déjà sensibilisé au VIH qui a eu un rapport à risque ira beaucoup plus vite se faire dépister qu’un bisexuel marié qui aura été faire un tour dans un parc. Ce dernier pourra craindre pour son anonymat en allant vers un centre de référence et n’osera sans doute pas en parler avec son médecin de famille. Et s’il a été contaminé, il l’apprendra sans doute lors d’un dépistage tardif (eux aussi en augmentation) réalisé lors d’une hospitalisation pour une infection opportuniste. Quand on sait que le dépistage tardif rend tout traitement plus compliqué, il est obligatoire de s’interroger sur comment convaincre cet homme qui a peut-être pris un risque et est peut-être contaminé de se faire dépister. En ça, le dépistage hors milieu médical (envisagés dans le plan global) peut apporter quelque chose. Pire, cela encourage la presse, même la plus sérieuse, a également simplifier son discours et faire des raccourcis qui renforcent la stigmatisation. Preuve en est le graphique ci-contre, extrait de l’article du Soir du 28/09/2012 exposant la conférence de la Ministre. Reprenant un graphique du rapport pour l’année 2010 de l’Institut sur l’évolution des diagnostics VIH des patients belges par mode probable de transmission, la catégorie HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes) du rapport a été subtilement remplacée par… Homosexuel masculin! Est-ce l’Institut qui a « adapté » son graphique de l’année dernière ou est-ce le journal lui-même qui a fait cette modification? Difficile de le savoir. Quid des bisexuels ou des hétéros qui ont choppés la maladie lors d’un rapport occasionnel avec un homme? Ils ont en tout cas complètement disparu. La dénomination HSH n’est déjà pas parfaite, mais elle a au moins le mérite de ne pas cibler un groupe homogène indivisible. Le nom du graphique a aussi été subtilement modifié; de « Évolution des diagnostics VIH par mode probable de transmission et sexe » à « Voie de transmission du VIH chez les patients belges ». Encore une fois, on constate que la société a beaucoup de mal à saisir la nuance entre identité sexuel et comportement.

Le flou des chiffres a aussi une influence directe sur une discrimination contre les gays aux gays: l’interdiction du don de sang. Les états refusent toujours de supprimer cette loi et de modifier le questionnaire soumis aux donneurs pour cibler un comportement (les rapports non protégés, homme avec homme ou homme avec femme) et non un groupe de la population sans distinction.

En matière de Sida, on voit donc que la communication doit être la plus précise possible pour ne pas pointer à tort uniquement les gays. En plus de nous stigmatiser inutilement, cela peut en plus avoir un effet déresponsabilisant pour le bon hétéro qui se sentirait ainsi moins concerné.

Le Plan global Sida : un espoir ?

La volonté de la Ministre de lancer ce plan est bien sur un signe positif. Réclamé depuis plusieurs années par les acteurs de terrain, les points problématiques mis en avant lors de l’annonce du plan sont primordiaux pour contrôler et faire régresser le nombre de contamination.

Le dépistage semble être au cœur des préoccupations, avec la mise en place de dépistages hors milieu médical, plus systématiques par les médecins généralistes quand ils rencontrent des cas de système immunitaire faible, peut-être pratiqués par des infirmier(e)s spécialisé(e)s plutôt que des médecins,…

On espère aussi que d’autres méthodes de prévention seront aussi mises en avant ou en tout cas évaluées, non pas à la place de la capote, mais en complément de celle-ci, comme le PREP, traitement pré-exposition, notamment dans les couples séro-discordants, le traitement post-exposition,…

Cela sera peut-être aussi l’occasion d’accepter de lever d’autres tabous, comme l’importance de cibler la charge virale communautaire (pour schématiser, si on fait diminuer la charge virale de groupe par une meilleure prise en charge des séropositifs, les contaminations diminuent au sein de ce groupe), d’améliorer la formation des médecins, notamment pour le dépistage (comme expliqué plus haut) ou sur la différence essentielle entre identité (gay) et comportement sexuel (rapport entre hommes), sur le traitement post-exposition,…

L’arrivée de ce plan n’est absolument pas une mauvaise chose. À nous de rester vigilants en juin, quand il devrait entrer en action, pour que cela ne soit pas qu’une coquille vide.

On peut faire confiance à la Fédération Arc-en-Ciel Wallonie pour être attentive et nous tenir au courant régulièrement sur son site des informations en ce sens. Cet édito n’aurait d’ailleurs pas pu exister sans l’aide de leurs nombreux articles et réflexions sur le sujet. Je vous conseille le tout dernier sur ce sujet « L’épidémie du Sida est un problème majeur de santé publique en Belgique » du 19 novembre.

Vous retrouverez dans l’Alliàgenda toutes les informations sur les activités auxquelles nous prenons part autour du 1er décembre.

Jean-Pierre

1. Les chiffres sont tirés du rapport « Épidémiologie du Sida et de l’infection à VIH en Belgique – Situation au 31 décembre 2011 » de l’Institut scientifique de Santé publique.

La Belgique a besoin d’un véritable état des lieux qui, sans se voiler la face, mais sans stigmatisation non plus, permettra de savoir à qui il faut s’adresser et quels sont les meilleurs moyens de le faire (dépistage hors milieu médical, campagnes de prévention adaptées, assurance de l’anonymat des consultations,…).

Sida et gays, un tabou…vraiment?

Ces chiffres ont aussi un impact sur le lien fait dans l’esprit du grand public entre Sida et gays.

Quand fin septembre à la présentation du plan global Sida, Laurette Onkelinx a annoncé vouloir mettre fin aux tabous autour des séropositifs et a dit qu’un de ceux-ci était que la transmission chez les homos masculins était en hausse vertigineuse, je suis un peu tombé de ma chaise. Si on doit reconnaitre que les gays peuvent avoir tendance à minimiser les risques qu’ils peuvent prendre (peut-être entre autre par lassitude d’une association gays/Sida assez pesante!), j’ai malgré tout encore l’impression que pour la société, le Sida reste toujours avant tout une maladie qui touche principalement les gays.