Édito | Décembre 2014

Le 19 septembre dernier, le Prix du roman gay était attribué à Olivier Charneux pour son roman Tant que je serai en vie. La remise du Prix s’est déroulée au Casse du Siècle, restaurant très gray-friendly de la rue Saint-Rémy à Liège. La Maison Arc-en-Ciel de Liège – Alliàge a pris contact avec l’auteur pour lui demander de nous soumettre un texte… que nous ne résistons pas à vous proposer en édito pour la journée mondiale de lutte contre le VIH-sida (1er décembre).
Bonne lecture et bon mois de décembre à tou-te-s ! Invisible mauvais sang

Annie Ernaux écrit dans son livre L’événement à propos de l’avortement : « le paradoxe d’une loi juste est presque toujours d’obliger les victimes à se taire, au nom de « c’est fini tout ça », si bien que le même silence qu’avant recouvre ce qui a eu lieu. » Et si on appliquait cette réflexion au sida ? Ce n’est jamais le bon moment pour en parler, pendant la période de l’hécatombe, c’était tabou et après l’arrivée des trithérapies, quasi inutile. Et pourtant, ma sexualité s’est construite avec le sida et une grande partie d’une génération a disparu. Qui peut en témoigner sinon quelqu’un qui a vécu cette période ? J’ai voulu, à travers mon septième livre Tant que je serai en vie (Grasset 2014), recréer la vie dans ces années-là, de 1981 à 2011. Qu’il se termine la veille de la loi du mariage pour tous en France n’est pas anodin. Cette loi est comme l’aboutissement des luttes contre le sida.

Je voulais aussi montrer avec ce livre que la mémoire du sida perdure ou devrait perdurer et que si la donne a changé, le sida n’en demeure pas moins, même s’il est devenu invisible. Invisible, il l’est et dans tous les sens du terme. Les corps ne sont majoritairement plus décharnés ou marqués, il est souvent indétectable dans le sang, des femmes séropositives peuvent enfanter, on n’en parle plus dans les médias ni entre amis. Toutes les campagnes de préventions laissent à penser que le sida est une maladie sexuellement transmissible comme une autre, une maladie honteuse comme elle l’a toujours été. Une rencontre récente en boîte de nuit m’a fait comprendre à quel point les nouveaux contaminés sont tout aussi démunis (sinon plus) qu’avant. Ils ne savent plus à qui en parler. Alors ils gardent leur secret bien au fond d’eux jusqu’au jour où ils craquent. Invisible et pourtant présent, tel est le paradoxe du sida aujourd’hui.

Le sida vient aussi se rappeler à nous d’une façon bien concrète. Le don du sang, par exemple, est toujours interdit aux homosexuels. Il y a peu, un ami français m’a raconté qu’il avait crié au scandale lors d’un don du sang proposé au personnel de son entreprise car le médecin avait refusé qu’il donne le sien parce qu’il s’était déclaré homosexuel. Oui, en 2014, on en est encore là en France et en Belgique aussi, m’a-t-on dit. Cette discrimination ne peut plus durer. La symbolique du sang est énorme, or nous ne sommes pas égaux par le sang aujourd’hui. Il existe un a priori qui sépare celui qui a un « bon sang » de celui qui a un « mauvais sang ». L’égalité, malgré le mariage pour tous, est donc encore loin…

Permettez-moi pour finir de citer une nouvelle fois Annie Ernaux, cette fois à propos de mon dernier opus : « Je suis touchée par votre livre, traversé d’un bout à l’autre par l’amour et la mort, surtout elle. Mais en arrimant vos années aux révélations d’œuvres d’artistes, d’écrivains, c’est la lumière, la vie qui gagnent, magnifiquement. » Je vous souhaite une vie magnifique avec une réelle égalité et un 1er décembre militant !

Olivier Charneux
Ecrivain français, auteur de plusieurs romans.