Édito | Décembre 2018

Il n’est pas dans mon habitude de partager publiquement, en tout cas explicitement, mes expériences personnelles. Mon retour récent de Turquie me donne cependant l’envie de le faire. Pour tout dire, je me suis rendu plusieurs fois dans ce pays au cours de ces vingt dernières années. C’est un pays d’ambiguïté, à la fois progressiste et conservateur, à la fois laïc et religieux… A la fois diversifié et incroyablement monolithique. Alors que des figures homosexuelles telles que Zeki Müren et Bülent Ersoy sont portées aux nues, être gay lesbienne bi ou trans y est toujours un tabou largement réprimé. Les choses ont pourtant changé en vingt ans.

Ma première visite a eu lieu en 2000, la société turque s’ouvrait. Les jeunes que j’ai pu rencontrer à l’époque était pleins d’espoir. Optimistes sur leur avenir, ils se construisaient dans un monde résolument occidentalisé. Signes de ces temps différents, les premières Gay Pride étaient organisées à Istanbul dès 2003. J’étais tombé amoureux de ce pays où soufflait, même si un peu timidement, un vent de changement.
En 2005, c’était un pays un peu différent que je redécouvrais. Ankara, capitale du pays, venait de changer son logo qui était un symbole Hittite (civilisation antique du plateau anatolien) pour le remplacer par une mosquée stylisée. L’espoir chez mes amis avait laissé la place à la crainte, celle de voir leur monde changer, celle de perdre leurs acquis…
Mon dernier voyage me laisse une impression étrange, presque amère. Mes amis sont les mêmes bien sûr. Pourtant l’ambiance, elle, est résolument différente. Les craintes de jadis sont devenues de la résignation. Partout des chantiers, ceux de mosquées immenses, démesurées… Inutiles. Elles sont le symbole d’un avenir que le parti du président Erdogan veut différent… Contre les LGBT, la politique est agressive… Grindr et Planet Romeo sont interdits et bloqués… Signes de ces temps différents, les Gay Pride depuis 2015 sont systématiquement annulées ou combattues. Ironiquement, c’est alors que la dernière Pride était lourdement réprimée par les armes que la très médiatique femme trans Bülent Ersoy était invitée à déjeuner chez le président.

Sentiment amère disais-je, c’est effectivement un peu de tristesse que je ramène dans mes bagages. C’est aussi un peu de crainte. La Turquie n’est qu’un pays parmi d’autres. La Hongrie ou la Pologne suivent elles aussi des trajectoires semblables. Alors qu’en 2000, un peu partout, tous les espoirs étaient permis… Aujourd’hui, c’est avec une touche d’inquiétude que l‘on regarde demain. Aucun acquis n’est gravé dans le marbre pour toujours. Le combat, notre combat pour une société plus juste, plus équitable, moins discriminante, moins homophobe, moins raciste… Moins haineuse… Est loin d’être fini… C’est donc avec conviction que j’écris ces lignes. La conviction que nous servons à quelque chose. La conviction que notre maison est importante et que nous devons nous battre pour préserver ce que nous avons et pour faire en sorte que demain soit mieux qu’hier.

Cyrille Prestianni