Le 30 janvier de cette année, ça fera 20 ans que le mariage des personnes de même sexe est autorisé en Belgique. Notre pays faisait alors figure de pionnier puisqu’il était le deuxième au monde à reconnaître ce droit aux personnes LGBTQI+. Plus que symbolique, ce droit marque le début d’une période qu’a priori on pourrait presque qualifier d’âge d’or des luttes LGBTQI+ puisque dans les années qui suivront, c’est une cascade d’autres droits qui nous seront concédés comme, par exemple, l’adoption en 2006, le changement de prénom et de genre sur la carte d’identité en 2007 ou encore le droit à l’autodétermination pour les personnes trans en 2018. Ce fût un âge d’or aussi pour les grands événements LGBTQI+ comme la Pride qui ne comptait que quelques milliers de personnes en 2000, pour atteindre plus de 100.000 personnes en 2018.
Je suis personnellement de la génération qui a vu et vécu ces changements. A posteriori, il est assez incroyable de voir à quel point la société est différente aujourd’hui. Certains diront que c’était mieux avant. Je n’en fais pas partie. Grandir et être un adolescent gay dans les 1980 et 1990 était à mes yeux pénible. Je me suis construit dans la solitude et l’isolement sous le coup des insultes et des moqueries. A la télévision, ou dans les médias en général, les cultures LGBTQI+ était tout simplement absentes. Sans vouloir ni diaboliser le passé ni enjoliver le présent, il suffit d’allumer la télévision, d’ouvrir un journal ou simplement d’entrer dans une école secondaire pour voir que le monde a bien changé. La parole s’est libérée et les prises de position sont plus claires et plus nombreuses. Les lois ont changé, les gens ont changé et on pourrait a priori croire que tout va dans le bon sens. De nombreuses ombres semblent pourtant bien se profiler.
L’un des constats qui m’étonne le plus aujourd’hui et qui, je l’avoue, m’effraie aussi, est celui de l’existence d’une opposition de plus en plus structurée aux avancées des droits des personnes LGBTQI+. En effet, s’il est vrai que la loi sur le mariage a fait l’objet de débats, à l’inverse de ce qui a pu se passer 10 ans plus tard en France, elle est passée relativement simplement dans la société et a soulevé peu de débats. A l’inverse, nous vivons aujourd’hui dans un climat radicalement différent. Tant dans le monde associatif et militant, que dans la société au sens large, c’est un sentiment de morosité générale qui domine ainsi que les tensions et les oppositions. Les récentes lois en faveur des droits des personnes trans ainsi que la fin annoncée de la mention du genre sur la carte d’identité ne laisse pas ou plus indifférent. Un repli identitaire assez généralisé semble caractériser notre époque. Des milieux qui pourraient et devraient être particulièrement ouverts le sont beaucoup moins.
C’est ainsi que l’on a vu se structurer de plus en plus de mouvements dits masculinistes ou encore tout à fait récemment femellistes (=terfs). Ces derniers étant destinés à exclure les femmes trans des combats féministes. La multiplication des micro-identités, et de leurs cortèges de codes propres, a le mérite de visibiliser la diversité des publics LGBTQI+. En revanche, elle entraîne aussi une fragmentation des luttes, parfois le repli de certains groupes sur ces identités. Cette fragmentation, si elle traduit effectivement la richesse et la force du débat, entraîne aussi des conséquences plus graves telles que la fragilisation et l’implosion de certaines structures. Les débats et événements récents à la Rainbow House de Bruxelles et l’avenir de la Pride en sont de bons exemples.
Il est bien plus inquiétant encore de constater ce qui se passe dans la société. Jamais depuis 20 ans, les discours de haine et les actes LGBTQIphobes n’ont été aussi visibles. Les médias, sous couvert de liberté d’expression, se font les porteurs de discours toujours plus haineux et discriminants. Comment ne pas être interpellé par Cyrille Hanouna qui se fait le missionnaire de positions clairement anti-trans. Celui qui prend la peine, et ça en est bien une, de lire les réactions de certain.e.s à la suite de certains posts Facebook ne peut qu’être interpellé par la violence et la haine gratuite et totalement assumée de ceux-ci. Enfin, la présence dans nos rues de groupes violents responsables d’agressions à répétition visant les personnes LGBTQI+ ainsi que le très inquiétant nombre de meurtres homophobes dans notre région ne peuvent que nous interpeller.
En somme, s’il ne faut pas perdre espoir ; si l’on doit réellement se réjouir de vivre en Belgique qui reste l’un des pays les plus avancés en termes de droits des personnes LGBTQI+, force est de constater que l’âge d’or des luttes LGBTQI+ est bel et bien passé. D’une part, les mouvements militants semblent plus que jamais divisés, mais, surtout la société en général semble s’être largement refermée. Certains médias et réseaux sociaux diffusent, sans gêne, des messages où la haine et le rejet de l’autre ont de nouveau leur place. Enfin, si en Belgique la classe politique dans son ensemble est relativement favorable aux droits des personnes LGBTQI+, on constate quotidiennement apparaître des oppositions là où il n’y en avait pas. Les récentes positions du MR contre la loi genre ou les positions discriminatoires de Frank Vandenbrouk dans le dossier « don de sang » sont pour le moins éloquentes. Ainsi, les indices sont nombreux, autour de nous, du frémissement LGBTQIphobe plus important et si la société a largement changé, il faut tout de même largement garder les yeux ouverts pour que nos droits ne soient pas les premières victimes d’une crise économique et d’une morosité ambiante qui semblent s’installer pour longtemps.
■ Cyrille Prestianni,
Président