A de nombreuses reprises ces derniers mois, j’ai entendu posée la question de la circonstance aggravante d’homophobie. Elle a pu prendre diverses formes, la plus récurrente étant : “pourquoi protège-t-on plus les homosexuels que les hétérosexuels ?”. Cette formulation ne correspond à aucune réalité légale, qu’on se le dise. La loi ne protège pas plus les homosexuels.
Historiquement, on peut même dire que les législations européennes du XIXème, du XXème et dans une certaine mesure celles du XXIème siècle ont toujours protégé l’hétérosexualité. Qu’on songe à l’accès au mariage réservé aux hétéros jusqu’en 2003 en Belgique (jusque 2013 en France, on ne le sait que trop), qu’on se rappelle que la majorité sexuelle, en Belgique toujours, a été pendant près de 20 années (de 1965 à 1985) de 16 ans pour les relations hétéros et de 18 ans pour les relations homos, qu’on prenne en considération le fait que l’homosexualité n’a été dépénalisée en France qu’en 1982, qu’on se souvienne que jusqu’en 2003, la section 28 du local Government Act de 1988 interdisait aux établissements scolaires du Royaume-Uni de faire la promotion de l’homosexualité (sic),… on pourrait continuer la liste sur de nombreuses pages.
Les législateurs européens sont donc peu suspects de sympathie avec nos minorités sexuelles.
Alors que prévoit désormais notre code pénal pour les homosexuels ? Les protège-t-il plus que les hétéros ? Que prévoie-t-il exactement ?
Le code pénal en son article 405quater prévoit que Lorsqu’un des mobiles du crime ou du délit est la haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard d’une personne en raison de sa prétendue race, de sa couleur de peau, de son ascendance, de son origine nationale ou ethnique, de sa nationalité, de son sexe, de son changement de sexe, de son orientation sexuelle, de son état civil, de sa naissance, de son âge, de sa fortune, de sa conviction religieuse ou philosophique, de son état de santé actuel ou futur, d’un handicap, de sa langue, de sa conviction politique, de sa conviction syndicale, d’une caractéristique physique ou génétique ou de son origine sociale, la peine pourra être alourdie.
On ne parle pas d’homosexualité mais d’orientation sexuelle. Et on ne parle pas que d’orientation sexuelle.
Dans le cas de l’affaire Jarfi, on parle bien d’homosexualité. Mais ce n’est pas la seule affaire en Belgique pour laquelle le motif haineux a été repris (pour d’autres raisons que l’orientation sexuelle de la victime).
Mais alors pourquoi ce motif haineux ? Pourquoi la justice doit-elle le prendre en compte ?
Sandra Berbuto, avocate du Centre pour l’Egalité des Chances dans l’affaire Jarfi, a très brillamment rappelé, dans sa plaidoirie (le jeudi 11 décembre dernier), l’intention du législateur lorsqu’il a inscrit cet article dans le code pénal.
Lorsqu’un homme est tué parce qu’il est homosexuel, la violence physique se double d’une violence symbolique qui a d’autre conséquence que lorsque la motivation n’est pas la haine, le mépris ou l’hostilité face à l’homosexualité. A trois niveau : pour l’individu, pour le groupe et pour la société.
D’abord pour l’individu. L’agression haineuse touche à une caractéristique fondamentale de l’individu. Comme la couleur de peau ou son état de santé ou son âge (ou…), l’orientation sexuelle fait partie intégrante de l’individu. Il ne peut en changer.
Ensuite, et c’est très important, le geste a un impact sur un groupe. L’individu agressé est interchangeable. Peu importe qui est la cible tant qu’elle est homosexuelle. Tous les homos auraient pu convenir pour les agresseurs, puisque l’objectif est de faire mal à l’homosexualité. Ce genre d’agression inspire donc la crainte aux homos et à leurs proches. Des mères, des pères, des amis vont peut-être craindre pour l’intégrité de leur enfant, ami,…
Enfin, c’est la société dans son ensemble qui est touchée. Pour expliquer ce point, c’est Pascal Rodeyns, avocat d’Arc-en-Ciel Wallonie dans le procès Jarfi, qui a rappelé aux jurés l’impact de cette forme de violence sur la société. Il n’est pas si loin le temps de la clandestinité, des va-et-vient nocturnes discrets pour entrer dans tel ou tel club, du secret inspiré par la crainte de tomber sur des casseurs de pédés. En retenant la circonstance aggravante, la justice envoie un message à la société : ce type d’acte, pas chez nous !
A l’heure d’écrire ces lignes, nous ne savons pas quelle issue sera donnée au procès Jarfi.
Pascal Rodeyns et Sandra Berbuto ont plaidé pour que la circonstance aggravante soit retenue. Le Ministère public également. Tous sont convaincus que Mutlu Kizilaslan, Jérémy Wintgens, Jonathan Lekeu et Eric Parmentier ont tué Ihsane parce qu’ils n’ont vu en lui qu’un PD.
Nous aussi.
Vincent Bonhomme