Édito | Mai 2005

L’élection du Cardinal Joseph Ratzinger comme nouveau Pape peut difficilement être perçue comme un signe encourageant quant au regard de l’Église sur les lesbiennes et les gays. Nous avons donc jugé opportun de réagir par voie de presse. Le communiqué reproduit ci-dessous a été publié dans son intégralité dans « La Libre » du 21 avril dernier, et par extraits dans « Le jour Liège » et « La Meuse » du même jour. Il nous a également valu quelques interventions dans les journaux parlés de la RTBF des 20 et 21 avril.

(Michel Thomé)

L’Église Catholique se choisit un Pape hostile aux homosexuels. Dans sa dernière homélie avant le Conclave, Monseigneur Ratzinger avait dénoncé « la dictature du relativisme », soulignant qu’ « une foi adulte n’est pas une foi qui suit le mouvement des tendances ou les dernières nouveautés ». Comment ne pas voir dans cette prise de position une nouvelle affirmation de son hostilité vis-à-vis des évolutions sociales notamment en ce qui concerne le mariage entre personnes de même sexe ? Joseph Ratzinger, qui a dirigé jusqu’à ce jour la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, héritière de la Sainte Inquisition, était à ce titre l’auteur de la lettre aux Évêques publiée le 31 juillet 2003 intitulée « Considérations à propos des projets de re- connaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles ». Cette lettre avait, on s’en sou- vient, créé un grand émoi dans le monde et singulièrement en Belgique, intervenant immédiatement après l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe dans notre pays. Le Vatican y adressait des injonctions aux élus politiques, faisant fi de la séparation de l’Église et de l’État, et allant jusqu’à inciter les mandataires à la désobéissance civile. Ce qui était – et demeure – à la fois incompréhensible et inacceptable dans ce texte, c’est son caractère vindicatif à l’encontre des homosexuels, qui confine à l’homophobie. Pour le Cardinal devenu Pape, mariage et procréation ne font qu’un, prenant le contre-pied de la Constitution pastorale Gaudium et Spes du Concile Vatican II qui établit pourtant « Le mariage cependant n’est pas institué en vue de la seule procréation ». Malgré cela, ce que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi prétendait en effet rappeler, c’est que « dans le dessein du Créateur, la complémentarité des sexes et la fécondité appartiennent à la nature même de l’institution du mariage ». De cette assertion première découle une série de règles comportementales que l’on connaît bien : chasteté en dehors du mariage, sexualité conditionnée à la reproduction, interdiction de toute forme efficace de contraception, interdit de l’avortement, anathème sur les techniques de procréation médicalement assistée… La lutte contre la reconnaissance des unions homosexuelles, et des familles homoparentales dans la foulée, relève pour la Congrégation, de la défense du bien commun. Tout acte législatif en la matière est qualifié tour à tour de contraire, nuisible, nocif, dangereux… pour le bien commun. Les relations homosexuelles sont des « dépravations graves », des « anomalies », des « actes intrinsèquement désordonnés », des « comportements déviants »… car ils ne « procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable ». La « dimension conjugale » en est absente car l’aide mutuelle des sexes dans le mariage est indissociable de la transmission de la vie. De plus, des contre-vérités flagrantes parsèment ces réflexions, notamment en matière d’éducation des enfants par des couples homosexuels, qualifiée d’acte de violence et de pratique gravement immorale. Dernier argument majeur mis en avant, celui du prosélytisme : accepter le mariage gay revient assurément à promouvoir l’homosexualité et à déstabiliser le tissu social. Cet argument avait d’ailleurs déjà été invoqué en 1992 par la même Congrégation pour s’opposer aux propositions de loi sur la non-discrimination des personnes homosexuelles. Tant de redondances, tant de superlatifs, tant d’acharnement ont fait de ce texte un pamphlet haineux. Alliàge avait partagé l’émoi des mouvements catholiques progressistes, qui déjà s’alarmaient de la possibilité de voir le Cardinal Ratzinger succéder à Jean-Paul II. Depuis, cette position a été réaffirmée par le Vatican en octobre 2004 et février 2005, et dans le dernier livre de Jean-Paul II. Il n’y a plus guère de gens, du moins dans nos pays développés et à haut niveau d’instruction, pour suivre ces préceptes qui laissent si peu de place aux notions de désir, de liberté et de tolérance. La « loi morale et naturelle sur la vérité du mariage » n’est plus guère une référence monolithique à prendre ou à laisser, y compris pour les catholiques. Elle est à ce point en décalage par rapport au réel que dans la plupart des pays occidentaux, et spécifiquement en Belgique, le droit civil dissocie aujourd’hui le droit matrimonial et le droit relatif à la filiation. Cette évolution profonde est à elle seule la réfutation de ce que l’appropriation du mariage par les personnes homosexuelles ne relève pas d’une mode quelconque, d’une tendance ou d’une nouveauté un peu futile, comme le laisse entendre le Cardinal Ratzinger. Mais si la grande majorité des citoyens ne se satisfait pas du modèle matrimonial défendu par l’Église catholique de Jean-Paul II et de Benoît XVI, il ne faudra pas s’émouvoir de ce que les personnes homosexuelles partagent largement ce sentiment. Alliàge appelle le monde catholique à la vigilance afin que leur Église ne s’éloigne pas plus encore des réalités sociales.

(Thierry Delaval)