Édito | Mars 2013 – Des noces d’étain, ça se fête.

Heureux hasard du calendrier, c’est au moment où la France se déchire sur le mariage pour tous (enfin, au moment où certain(e)s voudraient nous le faire croire), que la Belgique fête les dix ans du mariage homo. Et force est de constater que, malgré les prophéties de Christine Boutin, la pythie venue d’un autre âge, qui annonce à la France « un état totalitaire », « l’abolition des Droits de l’Homme » et un « principe d’égalité conduisant à l’eugénisme » si la loi est votée, la Belgique, elle, ne semble pas se porter si mal que cela, bien au contraire.

Certes, notre pays a connu (et connait toujours, hélas), comme tant d’autres, de nombreux problèmes liés à la crise financière. Les problèmes communautaires s’invitent régulièrement dans tous les débats et on se rappelle tous la difficulté (le mot est faible!) avec laquelle un gouvernement fédéral a été formé. Mais, hormis un scénariste de  » Plus belle la vie », bien malin celui qui pourrait lier tout ceci au vote de la loi sur le mariage. On sait que les voies du Seigneur sont impénétrables, mais la dernière fois qu’on a vérifié, Bart De Wever ne faisait pas partie des sept plaies d’Égypte!

Le vote de la loi sur le mariage n’a finalement pas bouleversé grand-chose dans la société. Si ce n’est pour les plus de 15.000 homos ou lesbiennes qui se sont mariés depuis (chiffres 2004-2010 du site Statistics Belgium ; pour la période 2011-2012, les chiffres officiels n’ont pas encore été rentré mais on estime le nombre de marié(e)s homos à environ 4.000 pour ces deux années) et aussi pour tous les gays et les lesbiennes qui, même s’ils n’ont pas envie de se marier, ont pu se sentir moins considérés comme des sous-citoyens aux droits inférieurs à tout un chacun1.

On peut se réjouir que notre pays et nos dirigeants, qu’on aime souvent décrier, aient eu le courage d’être des pionniers en la matière par rapport à de nombreux états. On voit actuellement en France à quel point cette prise de position peut encore rencontrer de vraies oppositions ubuesques, mêlant « contre-nature », »pêché mortel », « zoophilie », « inceste »,….

Mais c’est bien connu, pour faire durer un mariage, il ne faut pas se contenter d’une jolie cérémonie. L’amour, ça s’entretient tout du long, règle que la Belgique n’a pas oubliée : en dix ans, on aura vu la loi sur l’adoption être votée et la loi contre la discrimination renforcée. Le soutien des pouvoirs publics aux manifestations LGBT (notamment la Pride), mais aussi à la création et à la pérennisation d’associations telles que la Fédération Arc-en-Ciel Wallonie sont des signes forts. Le vote de la loi sur le mariage n’a heureusement pas été juste un « cadeau » fait aux LGBT pour avoir la paix, mais bien un pas dans une lutte toujours nécessaire pour l’égalité.

Le dernier geste en date est la mise en place du plan d’action interfédéral contre l’homophobie et la transphobie, présenté fin janvier. De discussions entamées avec les trois fédérations belges LGBT (Arc-en-Ciel Wallonie, Çavaria et RainbowHouse) en février 2012 ainsi que la nécessité et l’urgence de ce plan se sont révélées d’autant plus importantes avec le meurtre d’Ihsane Jarfi, début mai et l’assassinat de Jacques Kotnik en juillet. Après plusieurs mois de réunion, le plan a abouti à de véritables avancées au niveau judiciaire et juridique : formation des policiers et des magistrats, alourdissement des peines, amélioration des données statistiques recueillies,… Avancées qui restent bien sûr à mettre en place.

Mais, malgré ses bonnes intentions, on peut regretter que le plan d’action interfédéral, comme l’a souligné Arc-en-Ciel Wallonie, ne propose pas « de dispositions relatives à d’autres domaines de l’action publique (ndlr: que la police et la justice) qui permettraient de lutter plus directement sur les racines profondes de l’homophobie et de la transphobie »2.

Il est toujours bon de rappeler aussi que, si la loi sur l’adoption a le mérite d’exister, elle n’a permis quasiment aucune adoption externe en Wallonie, que les formalités pour les adoptions intra-familiales restent très compliquées et fastidieuses et que l’adoption internationale est impossible. La législation sur la GPA (gestation pour autrui) est toujours aussi inexistante et seules deux des quatre propositions de loi en projet permettraient l’accès à celle-ci aux couples homos. L’associatif ne s’y est pas trompé et les revendications de la Pride 2013 seront centrées sur cette thématique, sous le slogan « Rainbow Families ».

Bref, à ceux qui craignaient ou craignent encore que l’ouverture du mariage aux homosexuel(le)s soit la porte ouverte à un putsch de « Khmers roses »3, qu’ils soient rassurés, il n’en est rien. Les avancées obtenues et désirées doivent toujours être défendues avec âpreté.

Sur ce, en cette période d’anniversaire, ne boudons pas notre plaisir. Soyons fier de l’avancée de notre pays en la matière et espérons que, pour nos noces de porcelaine, nous pourrons célébrer encore plusieurs victoires.

Jean-Pierre

1. Pour une petite plongée dans le passé sur ces deux jours historiques, nous vous recommandons l’article d’Arc-en-Ciel Wallonie sur leur site: « Mariage homo en Belgique : il y a 10 ans, qui a voté quoi et pourquoi? »
2. Pour découvrir le plan dans son intégralité et l’analyse de celui-ci par Arc-en-Ciel Wallonie, nous vous recommandons l’article d’Arc-en-Ciel Wallonie sur leur site : « Plan national contre l’homophobie : avancées et perspectives »
3. Expression utilisée par François Devoucoux du Buysson dans son livre du même nom pour définir les militants de « l’idéologie homosexuelle »