Édito | Octobre 2014

En occident, on dit que tout va mieux une fois que l’on a fait son coming out. En Russie, cela signifie la plupart du temps la mort sociale – Alexander, 27 ans, barman dans un hôtel de Sochi (Russie).

La mort sociale. L’insulte, la mise à l’écart, la violence symbolique et physique, l’ostracisation. Tous les témoignages des hommes et des femmes, qui ont été pris en photo par Olya Ivanova l’hiver dernier, convergent (exposition Guys of Sochi accessible à la Maison Arc-en-Ciel jusque 10 octobre). Etre publiquement homosexuel, c’est-à-dire montrer un geste d’affection en rue, avoir son compte Facebook piraté, déployer un drapeau arc-en-ciel, sortir d’un club gay, comporte en soi un risque : celui de se faire taper dessus, celui d’être outé auprès de sa famille ou de ses clients, celui d’être insulté, etc.

Ce risque et l’inquiétude qu’il suscite existe également chez nous. La crainte qu’un rencard avec un inconnu du net soit en fait un piège, les précautions qu’on peut prendre quand on sort d’une boîte gay en plein centre ville, les dangers des espaces de drague en plein air (supposés mais également réels), les stratégies qu’on met en place pour ne pas en avoir l’air,… si le risque objectif en Russie est d’une autre magnitude qu’en Belgique (et encore l’actualité des dernières années à Liège nous montre à quel point ce type de comparaison doit être nuancée), il n’en reste pas moins que les effets subjectifs chez les gays et les lesbiennes (et sans doute encore plus chez les gays qui investissent beaucoup plus l’espace public que les lesbiennes) présentent une homologie, entre Belgique et Russie, entre Liège et Sochi.

Ce risque et l’inquiétude qu’il suscite sont peut-être constitutifs d’une expérience subjective commune à tous les gays et toutes les lesbiennes, de par le monde. Didier Eribon, dans “Réflexion sur la question gay” évoque cette “peur d’être percé à jour, jugé, destitué de son image et de sa réputation dans et par le regard des autres” et qui “eut avoir pour conséquence une attitude générale de réserve, une quasi-obligation de se tenir à l’écart de la vie sociale”.

La question se pose donc des stratégies mises en place pour vivre avec cette peur, pour l’abroger voire l’annuler. L’injonction à la conformité sexuelle est telle que, en Russie, la seule solution est le placard, le privé, le secret. La résistance au pouvoir normatif (pouvoir réactivé par les lois de Vladimir Poutine sur l’interdiction de la propagande homosexuelle), c’est le Majak (ce club de travelottes à Sochi), c’est le net, c’est l’intimité d’un appartement.

Echapper à l’œil de Moscou et à ses mercenaires (un frère, un groupe de nationaliste,…) est le seul moyen d’essayer de se déprendre de la parole du pouvoir.

Je l’ai dit, chez nous, la violence contre l’homosexualité est d’une autre magnitude. Elle n’en existe pas moins au quotidien. Marcel Jouhandeau dans “De l’abjection”, en 1939, dira : c’est une révélation que d’être insulté, méprisé publiquement. On fait la connaissance de certains mots qui n’étaient jusqu’alors que des accessoires de tragédie et dont on se voit tout à coup affublé, accablé. On essaye d’abord de prétendre que ce n’est pas vrai, que ce n’est qu’un masque, une robe de théâtre qu’on vient de jeter sur vous par dérision et on veut les arracher, mais non : ils adhèrent tellement qu’ils sont déjà votre visage et votre chair et c’est soi-même qu’on déchire en voulant s’en dépouiller.

Le coming out ou le placard. Le coming out et le placard. Dois-je me dire ? Pourquoi ?

Il y a un peu plus d’un an, j’expliquais à quelques amis que quand j’étais gamin, le mot homosexuel (et ses déclinaisons : pédé, tapette), je ne l’avais d’abord pas compris, ensuite je ne l’avais pas voulu, ensuite j’ai tenté de le déconstruire (et je le déconstruis encore un peu plus chaque jour). Et j’avais terminé en disant : Un jour, je suis tombé amoureux d’un garçon. Et ils ont appelé ça homosexualité.

Vincent Bonhomme