Édito | Août 2010

Un peu de nostalgie.

On m’a souvent conté et reconté ces années passées à revendiquer l’ouverture du mariage civil et de l’adoption. On m’a décrit ces interminables tables rondes au cours desquelles s’affrontaient des intervenants passionnés. J’ai vu briller les yeux de mes interlocuteurs en évoquant ce passé. J’ai souvent regretté d’être si jeune. De n’avoir pas connu la naissance de cette association. D’avoir raté l’inauguration de cette énorme maison de la rue Hors-Château. Une maison arc-en-ciel. Avec des murs, des fenêtres et bientôt des bureaux.

Le temps passe. Le mariage et l’adoption sont une réalité. L’orientation sexuelle est même un critère protégé par la loi anti-discrimination de 2007. Aujourd’hui, si je veux me marier, si je veux être candidat adoptant… j’en ai le droit. Alors, quand je dis que je travaille chez Arc-en-Ciel Wallonie, on me demande souvent: pourquoi? Que fais-tu là-bas? De quoi avez-vous (ou avons-nous) donc encore besoin?

Cette question m’interpelle et à chaque fois je dois serrer un peu les dents pour rester diplomate. Je réponds que non. Je peux me marier et je peux adopter. Donc je suis heureux. Nous sommes tous heureux. Car enfin l’orientation sexuelle n’est plus un problème pour personne. Enfin, la diversité ne fait plus peur. Enfin, si je suis une vieille femme, handicapée, juive, noire et lesbienne, je serai traité avec autant d’égards que ce jeune homme blanc, en pleine santé, catholique et hétérosexuel. Enfin, quand un élève lance un “tapette” ou un “sale pédé” dans une cours de récré, il est sanctionné. Enfin, la transidentité ne fait plus peur. Enfin, je peux dire que je suis séropositif sans qu’une lueur d’inquiétude ne trouble le regard des autres. Enfin, la différence ne fait plus peur.

Las. La prévalence du suicide chez les jeunes gays et lesbiennes est environ six fois plus élevée que chez les jeunes hétéros. L’Histoire et la littérature enseignées dans nos écoles sont presque complètement dépouillées de toute référence à l’homosexualité, ne permettant même pas aux jeunes de se penser comme gay, bi ou lesbienne. Les romans, films, musiques que les jeunes consomment célèbrent presqu’exclusivement les amours hétérosexuelles.

La déconstruction des stéréotypes de genre, la lutte contre la transphobie ou la sérophobie, l’égalité entre les couples hétéros et homos, l’égalité homme-femme… tous ces combats sont devant nous. Le champ d’action est gigantesque et nous ne sommes pas très nombreux à en avoir conscience. Nous avons besoin de toutes nos forces pour changer nos propres mentalités, celles de nos proches, de nos amis, nos familles,… Nous avons besoin de toutes et tous.

L’arme dont nous disposons, c’est notre éducation. Notre meilleur outil, c’est nous-mêmes. C’est la connaissance et la compréhension du monde qui nous entoure. C’est la vision du monde qu’on aimerait voir s’épanouir dans la rue ou sur notre lieu de travail. C’est cette vision qui doit confondre les obscurantismes de tout poil et soigner notre myopie sociale.

C’est généralement ce que je réponds à ceux-là qui n’ont pas l’air de voir les dégâts de l’hétérosexisme et de l’homophobie.

Et j’ajoute souvent cette petite histoire d’un enfant, perdu au milieu d’un immense marécage, qui patauge tant bien que mal et puis qui trouve un appui, une portion de terre un peu plus solide sur laquelle il peut s’appuyer. Nous sommes tous un peu cet enfant. Et la culture, les films, les romans, les personnages historiques,… ce sont des lopins de terre sur lesquels on peut s’appuyer. Appuyer nos réflexions. Appuyer nos désirs. Notre identité. Nos ambitions. On ne peut se construire sans culture. On ne peut s’épanouir sans être nourri de culture.

Un jour, je ne serai plus si jeune. Un jour, je sentirai la fatigue. Et j’espère qu’un gosse de 20 ans m’écoutera raconter mes combats. Ceux que nous avons menés après les lois sur le mariage et l’adoption. Ces combats qui ont rendu le monde un peu plus vivable. Et qu’il apercevra mes yeux qui brilleront de la nostalgie de l’ancien combattant.

Vincent Bonhomme