Édito | Octobre 2011

Au début du mois de septembre, lors de la rentrée des classes, la polémique sur les nouveaux manuels de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), qui incluent des références à l’orientation et l’identité sexuelles, a repris de plus belle en France. En effet, quatre-vingts députés UMP ainsi que des associations catholiques, rejointes par Christine Boutin, ont demandé au ministre français de l’Education nationale, Luc Chatel, le retrait de manuels scolaires qui expliquent « l’identité sexuelle » des individus autant par le contexte socio-culturel que par leur sexe biologique. Dans une lettre au ministre, ils estiment que ces manuels de SVT de classes de premières font référence à « la théorie du genre sexuel ».
« Selon cette théorie, les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités: homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels », écrivent-ils dans leur lettre… en confondant orientation sexuelle et identité de genre! Il s’agit selon eux d’une « théorie philosophique et sociologique qui n’est pas scientifique, qui affirme que l’identité sexuelle est une construction culturelle ». Les signataires citent un passage d’un manuel publié par Hachette: « Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin. Cette identité sexuelle, construite tout au long de notre vie, dans une interaction constante entre le biologique et contexte socio-culturel, est pourtant décisive dans notre positionnement par rapport à l’autre ».

En lien avec le féminisme, les gender studies, ou études de genres, utilisent la notion de genre, par opposition au sexe biologique, pour faire référence aux constructions sociales du féminin et du masculin. Très développées au Etats-Unis, où de nombreuses universités prestigieuses financent des départements consacrés à ce sujet, les gender studies sont enseignées en France, entre autres, à Sciences Po, qui a rendu obligatoire ces cours pour tous les cursus.

Le genre est avant tout une convention sociale, une construction sociale du sexe biologique, un concept qui s’est diffusé pour dire qu’il existe autre chose qu’un sexe biologique défini par des hormones – on a l’appelé parfois le sexe social. En effet, la définition même des catégories homme et femme, leurs rôles, leurs fonctions, toutes les représentations assimilées au féminin et masculin sont le produit d’une construction sociale.

Alors que la société continue à reproduire une norme dominante (par exemple, les livres pour enfants continuent à véhiculer des stéréotypes souvent très arriérés par rapport à la réalité d’aujourd’hui : le petit garçon est très actif, courant partout, conquérant de l’espace, la petite fille plus volontiers à la fenêtre regardant au dehors, figée, passive. Il y a aussi le code des couleurs rose et bleu, le fer à repasser pour la petite fille…), le concept de genre montre à quel point ces rôles sont contraignants pour de plus en plus d’individus. Le système ne correspond plus aux mutations en cours, à des aspirations plus individualistes, à la liberté, l’épanouissement et la singularité de chacun. Sur une même journée, une personne peut utiliser des registres très différents de sa personnalité, que l’ancienne psychologie définirait comme masculin ou féminin : suis-je un homme quand je dirige un institut, une femme quand je fais le repas ?

Quoiqu’il soit, il faut bien avouer que l’espère humaine est l’une des plus déterminée sexuellement (bien plus que les poissons ou les reptiles, par exemple) et que prendre en considération le système symbolique qui construit le masculin et le féminin ne remet pas en cause une certaine forme de déterminisme biologique. Il s’agit , en fait, de l’éternel débat de l’inné et de l’acquis avec la question cruciale de savoir où se trouve la frontière entre les deux.

Il faut reconnaitre, contrairement à leurs nombreux détracteurs, que ces nouveaux manuels font preuve d’une ouverture nouvelle et heureuse. Comme les programme les y invitent, il n’y est pas seulement question de la reproduction (avec la contraception, l’avortement, la pilule du lendemain, l’assistance médicale à la procréation, la gestation pour autrui…); il s’agit aussi du genre (avec la transsexualité, mais aussi l’intersexualité, même si elle n’est envisagée que comme «anomalie»), et de la sexualité non reproductive (avec une illustration de singes bonobos chez Belin) – y compris de l’homosexualité (par exemple, chez Bordas, une photo de la Marche des fiertés contre les discriminations).

Le ministre de l’Education, Luc Chatel, a répondu à la polémique sur les manuels de SVT de premières, en précisant que les programmes de l’Education nationale ne faisaient pas référence à la « théorie du genre » et que son ministère n’était «pas chargé d’éditer les manuels. Le ministère est chargé de rédiger les programmes. Ces programmes sont mis à disposition d’éditeurs scolaires et les éditeurs ont une totale liberté éditoriale. Ce n’est pas le ministre de l’Education qui exerce droit de vie et de mort sur un manuel ». En outre, il a décidé de mettre une commission sur pied pour étudier la question de la présence de références aux théories de genre dans les manuels de SVT. Quoiqu’il en soit, Christine Boutin ne désarme pas. Dernière initiative en date: elle a lancé dimanche dernier une pétition « contre l’enseignement de l’idéologie du «Gender» à l’école ». Avec, pour appuyer son propos, deux visuels qui caricaturent grossièrement les études de genre en reprenant les fameuses citations de Rudyard Kipling (« Tu seras un homme, mon fils ») et de Simone de Beauvoir (« On ne nait pas femme, on le devient »). Edifiant !!! Homosexualité et Socialisme (HES), association liée au PS, a donc décidé de répondre (voir affiche ci-contre), en reprenant le design et le style choc des affiches de Christine Boutin. « Finira-t-on enfin par parler des tentatives de suicide de nos enfants quand ils se trouvent en quête transidentitaire?, s’inquiète l’association. Plutôt que de cultiver l’ignorance, d’inciter à la peur des différences, à la discrimination des personnes concernées et à leur repli sur elles-mêmes? »

En Belgique, la Communauté Française s’interrogerait sur la présence de ce chapitre « Devenir homme, devenir femme » dans un manuel qui concernerait le cours de biologie… C’est peut-être un peu prêter le flanc à la critique. A suivre….

Jean-François Pondant, Président.