Édito | Avril 2023

Ridicule et dangereux. C’est par ces mots forts que Karine Jean-Pierre, porte-parole du président américain Joe Biden, a ouvert son discours du 03 mars dernier, en réaction à la mesure forte prise par l’état du Tennessee de limiter largement les représentations de drag queens dans les lieux publics. Il faut dire que ces dernières années, la situation des personnes LGBTQIA+ aux Etats-Unis est largement inquiétante, tant pour les observateur·trice·s étrangèr·e·s que pour les associations locales. Depuis quatre ans, les projets de lois anti-LGBT se multiplient sur tout le continent. En 2021, c’est plus de 200 projets de loi LGBTphobes qui ont été déposés. En 2022, ce nombre progresse à 238. Mais 2023 sera déjà, sans nul doute, l’année de tous les records… Cette fois, c’est près de 400 projets de loi qui ont déjà été déposés depuis le début de l’année. Sans surprise, cette vague délirante pro-conservatrice est menée fièrement par le Parti républicain qui, en vue de l’élection d’une partie du Congrès en 2024, se place en défendeur des grandes valeurs américaines, prônant la protection des mineurs et la liberté religieuse comme arguments majeurs. Un constat glaçant… Qui n’est, malheureusement, pas sans conséquence… En 2021, l’Arkansas devenait bien tristement le premier état à interdire la transition médicale pour les mineurs transgenres. Un peu plus tard, en Floride, c’est la fameuse loi du « Don’t say gay » qui laissait sans voix les professeurs d’écoles primaires, leur interdisant ainsi toute évocation de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre au sein du cursus scolaire. Après avoir supprimé le droit fédéral à l’avortement l’année passée, les conservateurs américains se lancent cette fois dans une autre bataille aussi ridicule qu’affligeante : celle de restreindre la visibilité des drag queens dans l’espace public.

Depuis 2015, les Drag Queen Story Hour, nées dans la ville de San Francisco, font le bonheur des petits comme des grands dans les écoles et les bibliothèques américaines. L’occasion de partager une séance de lecture de contes un peu particulière, puisque orchestrée par une drag-queen.
Mais, plus encore, c’est avant tout l’occasion d’éveiller l’imagination des enfants et de les confronter, dès leur plus jeune âge, à la différence et à l’acceptation. Et les espaces publics de devenir ainsi des lieux de culture sociale et de dialogue. Un concept séduisant qui a rapidement voyagé dans plusieurs grandes villes américaines comme Boston, New-York ou Los Angeles. Avant de se voir couper l’herbe sous le pied par la déferlante conservatrice… Début mars, le Tennessee est en effet devenu le premier état à limiter ces lectures, brandissant la protection des enfants face à des spectacles jugés trop sexualisés. Mais le pire est probablement à venir. Une dizaine d’autres états américains, comme le Texas, le Kansas ou l’Arizona pourraient ainsi bientôt rejoindre le mouvement et devenir des zones “anti-drag” où les contrevenant·e·s s’exposeraient à des poursuites judiciaires, à des peines de prison ou à des sanctions en tant que “criminel·le sexuel”. Si la Maison-Blanche condamne, on peut légitimement s’inquiéter de la déferlante qui sévit de l’autre côté de l’Atlantique, avec le risque qu’elle ne touche, un jour, à nos propres lieux d’expression.

Pour l’heure, chez nous, la situation est plus apaisée. On dénombre tout de même l’un ou l’autre loup solitaire qui, sans incidence majeure, tente de venir perturber cette plongée fantastique et unique dans l’imaginaire de l’enfance. D’autant plus que pour l’instant, l’art spectaculaire du drag n’a jamais été si exposé par le biais du carton de l’émission Drag Race Belgique qui réunit, chaque jeudi, des dizaines de spectateur·trice·s devant leur poste ou dans le grand salon de la Maison Arc-en-Ciel de Liège. Au-delà des coups de maquillage renversant et des talons hauts, on peut surtout saluer l’initiative de voir des thématiques comme celle du coming out, de l’identité de genre, de la tolérance ou de l’inclusion être traitée, sans fard et sans paillette, à une heure de grande écoute. En continuant ainsi à s’évader et à rêver, sans perdre de vue les contestations qui menacent…

■ Marvin Desaive,
Rédacteur en chef