Le conseil supérieur de la santé recommande la levée de l’exclusion des HSH du don du sang

par Thierry Delaval, pour la Fédération Prisme.

« Désormais le risque de transmission du VIH par transfusion a atteint un niveau tellement bas qu’il ne semble plus légitime de justifier un ajournement temporaire spécial des donneurs ayant des rapports sexuels entre hommes »

C’est une révolution copernicienne dans les cénacles scientifiques de santé publique. Dans de nouvelles recommandations publiées le 28 mars, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) ouvre la porte à l’élimination de l’interdiction faites aux hommes homosexuels et bisexuels de donner leur sang.

Depuis 1985, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) sont interdits de don de sang, en réaction à la pandémie de VIH/SIDA qui a ravagé la population homosexuelle masculine dans le monde entier durant les deux dernières décennies du vingtième siècle. À la suite d’une décision de justice européenne en 2015 [https://www.arcenciel-wallonie.be/single-post/2015/04/29/don-de-sang-par-les-homosexuels-il-faut-justifier-pour-exclure], qui avait jugé qu’une exclusion à vie des donneurs HSH manquait de proportionnalité, la Belgique avait concédé en 2017, avec beaucoup de réticence, de la remplacer par une exclusion de 12 mois après le dernier rapport sexuel entre hommes [https://www.arcenciel-wallonie.be/single-post/2017/07/21/la-belgique-impose-12-mois-d-abstinence-sexuelle-pour-les-gais-qui-veulent-donner-leur-sa].

Mais Arc-en-Ciel Wallonie – Fédération Prisme, qui réclame depuis 15 ans la fin de cette exclusion, ne s’est pas satisfaite de ce résultat et a continué à maintenir la pression sur les politiques en rappelant sans cesse que ce ne peut être qu’une étape, la loi elle-même prévoyant une évaluation annuelle des critères d’exclusion et la possibilité de les réviser tous les deux ans.

Nous attendions donc ce nouvel avis du CSS avec impatience. Il constate que si les infections à VIH restent plus élevées chez les homosexuels masculins, cette différence s’est beaucoup amoindrie ces dernières années. Plus significatif, le CSS admet enfin et clairement que certains HSH ne présentent pas ou très peu de risque de contamination. C’est une première évolution de la pensée scientifique dans notre pays qui revient à remettre en cause la validité du critère HSH en tant que tel.

Il constate aussi que si certains donneurs ne respectent pas les critères d’exclusion, la raison peut en être le manque de définition de certains termes, notamment l’expression « relations sexuelles ». C’était déjà un élément intéressant de l’avis précédent, datant de 2016, qui avait proposé de n’exclure du don de sang que les hommes s’adonnant entre eux la pénétration anale ou orale. La loi n’a pas suivi cette recommandation. En revenant plus en détail sur ce point, mais aussi sur la variété des relations sexuelles, l’avis donne donc un deuxième argument remettant en cause le caractère monolithique et indifférencié du critère HSH. Qui plus est, ces observations mettent en évidence l’importance du questionnaire médical auquel tout donneur est soumis et l’entretien avec un médecin qui précède le don de sang. En posant des questions précises en lien avec les comportements sexuels à risque, quel que soit l’orientation sexuelle, il offrirait une alternative à l’exclusion des HSH, comme c’est déjà le cas en France ou au Royaume-Uni. Sur ce point également l’avis du CSS a radicalement évolué depuis 2016.

Ceci semble motivé par la diminution de la transmission du VIH, par l’absence ces 5 dernières années de toute détection de don de sang contaminé par le VIH qui aurait eu comme source des relations sexuelles entre hommes, ainsi que par d’autres évolutions épidémiologiques allant dans le bon sens.

Le CSS appuie aussi ses recommandations sur un examen des évolutions récentes intervenues dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne etc. qu’il juge rassurantes, et dont Arc-en-Ciel Wallonie avait déjà rendu compte dans un nouveau plaidoyer que nous avions envoyé au Parlement en juillet dernier.

Ces différentes analyses conduisent le CSS à formuler de nouvelles recommandations. Parmi celles-ci, la plus sérieusement argumentée est bel et bien de faire disparaitre à court terme l’interdiction faite aux homosexuels ou bisexuels de donner leur sang.

La Croix-Rouge vent debout

Il y a cependant encore un gros « mais ». Et même plusieurs.

La première difficulté est que cette levée de l’exclusion est soumise à certaines conditions. Et celles-ci ont un coût en raison de modifications des protocoles et de l’intensification des tests effectués sur le sang prélevé. Le ministre de la Santé pourrait ne pas être emballé.

La seconde est que cette recommandation n’a pas recueilli l’accord unanime des huit experts qui ont rédigé l’avis. Certains d’entre eux sont proches de la Croix-Rouge, tant francophone que flamande, qui est le principal organisme collecteur des dons de sang. Quatre des huit experts ont refusé de soutenir cette recommandation. Le rapport propose dès lors une recommandation alternative : réduire la période d’exclusion de 12 à 4 mois après le dernier contact sexuel entre hommes.

La Croix-Rouge continue à penser que l’introduction d’une évaluation individuelle des risques conduit à moins de sécurité, moins de donneurs, et à un coût plus élevé. En janvier dernier elle expliquait au Sénat lors d’une audition à laquelle Arc-en-Ciel Wallonie – Fédération Prisme participait également qu’elle était mal rétribuée pour la collecte de sang. En conséquence elle ne pouvait assurer la confidentialité des entretiens préalables au don, surtout lorsque les collectes se font en dehors de ses centres de prélèvement (autrement dit dans ses bus ou dans des écoles, entreprises etc.), expliquait-elle encore dans un avis qu’elle adressait au Parlement en septembre dernier.

Cet aveu est particulièrement interpellant. Il nous apprend que la Croix-Rouge ne respecte pas les prescriptions de bonne pratique émises par le Conseil de l’Europe, en quelque sorte la bible des organes de collecte, dont le respect est rendu obligatoire par des Directives européennes. C’est en soi assez inquiétant. Mais que de surcroît la Croix-Rouge tire argument de ses propres défaillances pour s’opposer à la fin de l’exclusion des HSH du don de sang relève du cynisme le plus décomplexé.

Ce n’est pas son seul dérapage. Depuis novembre dernier, le don de plasma doit être autorisé aux HSH. Arc-en-Ciel Wallonie a vérifié récemment que la Croix-Rouge continue pourtant à s’y opposer. Petit retour en arrière. En 2018, Arc-en-Ciel Wallonie a porté plainte devant la Cour Constitutionnelle, la plus haute instance judiciaire du pays, contre la loi sur le don de sang. La Cour lui a donné partiellement raison, estimant que les HSH devaient être admis au don de plasma, l’un des composants du sang qui peut être spécifiquement prélevé. Elle a admis un délai de 2 ans pour se conformer à son arrêt, délai qui est arrivé à échéance en novembre 2021 [https://www.arcenciel-wallonie.be/single-post/2019/09/27/pourquoi-arc-en-ciel-wallonie-et-la-maison-arc-en-ciel-de-liège-ont-demandé-l-annulation]. Depuis, c’est en toute illégalité que la Croix-Rouge continue de refuser les candidats HSH au don de plasma.

L’inaction de Frank Vandenbroucke & des initiatives en pagaille à la Chambre

Après plus de 35 ans de bannissement, l’ouverture du don de sang aux homosexuels est enfin envisagée au niveau scientifique. C’est un pas fondamental, surtout depuis que la justice européenne, en 2015, a exigé que les critères d’exclusion reposent sur des données scientifiques et épidémiologiques fiables, pertinentes et actuelles. Raison pour laquelle la loi belge prévoit une évaluation annuelle et la possibilité de modifier les critères tous les deux ans, par simple voie d’arrêtés ministériels.

Mais manifestement, il reste du chemin pour convaincre le niveau politique. Notre ministre de la Santé Frank Vandenbroucke semble particulièrement réticent. Les indices se multiplient. Il n’a pas adapté dans les temps les dispositions de la loi annulées par la Cour Constitutionnelle, créant ainsi un vide juridique. Il a ensuite maintenu sous embargo jusqu’à la semaine dernière l’avis du CSS qui date en fait de novembre dernier. Enfin il se refuse manifestement d’adapter les critères par arrêté ministériel, ce qui oblige à passer par la procédure législative, nettement plus longue et plus lourde.

C’est ici que le Parlement entre en scène. Plusieurs initiatives remontent au printemps de l’année dernière. Défi a déposé une proposition de loi qui vise à abolir l’exclusion des HSH. Le PS a de son côté déposé un projet de résolution, puis, avec Vooruit, une proposition de loi en janvier dernier. Mais celle-ci va moins loin, puisqu’elle n’envisage que de réduire la période d’exclusion à 4 mois. Deux textes qui n’ont pas encore été vraiment discutés à la Chambre.

Encore convaincre

Pour sa part, Arc-en-Ciel Wallonie – Fédération Prisme poursuit le combat qu’elle mène depuis maintenant 15 ans pour mettre fin à cette discrimination. Nous nous réjouissons de l’avancée majeure que représente le nouvel avis du Conseil Supérieur de la Santé. Nous attendons des autorités politiques qu’ils établissent une feuille de route crédible en vue de mettre fin dans les délais les plus courts à l’exclusion des HSH. Enfin, nous exigeons de la Croix-Rouge et des autres organismes de collecte qu’ils ouvrent immédiatement la collecte de plasma aux candidats donneurs HSH.

 

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